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Distant Tears
JKG Odéon
Jean-Kenta Gauthier Vaugirard & Odéon
4 rue de la Procession 75015 Paris
5 rue de l’Ancienne-Comédie 75006 Paris
Vernissage: samedi 1er février, 14h - 19h
* 17h à JKG Vaugirard : conversation publique avec Léa Bismuth, Charbel-joseph H. Boutros et Jean-Kenta Gauthier
Horaires: mercredi - samedi, 14h - 19h
« N’êtes-vous jamais tombé de sommeil, je veux dire, n’avez-vous jamais ressenti cette tombée ? » (Léa Bismuth)
Pour sa première exposition à la galerie Jean-Kenta Gauthier, Charbel-joseph H. Boutros (né en 1981 au Liban, vit entre Paris et Beyrouth) insère dans un mur de chaque galerie une larme de chacun de ses yeux, comme pour rapprocher les deux espaces Odéon et Vaugirard et introduire la ville de Paris dans l’œuvre. Intitulée Distant Tears (2025), cette nouvelle œuvre offre son titre à l’exposition. Chez H. Boutros l’exposition devient souvent elle-même matière de l’œuvre, à l’instar de son film Three Songs, Three Exhibitions (2022) qui accueille les visiteurs dans la galerie de Vaugirard et dresse un triple portrait métaphorique et en musique de ses trois expositions récemment présentées au Beirut Art Center (Home Works 8, Ashkal Alwan, 2019), au S.M.A.K. (Gand, 2020) et à La Criée Centre d'art contemporain (Rennes, 2022), qui a produit l’oeuvre.
H. Boutros fusionne également les jours. Pour Donner l’air d'aujourd'hui à l'air d'hier (The Kiss) (2024-2025), il gonfle à deux reprises un ballon coloré: une première moitié la veille, l’autre moitié le jour du vernissage. Ressusciter l’air d’hier, porter à la bouche un ballon comme un baiser entre deux jours, célébrer le début de l’exposition dont la durée verra le ballon dégonfler. Un détournement du Souffle d’artiste (1960) de Piero Manzoni ? Night Cartography #4 (2024-2025) est un drap dans lequel l’artiste a passé une nuit et qu’il a le lendemain recouvert des cendres issues des journaux du jour. Les « cartographies de nuits » sont une série d’œuvres protéiformes réalisées depuis plus de dix ans.
À l’occasion de l’exposition, Léa Bismuth* livre un nouvel essai intitulé Quelque part nuit. Un texte inspiré par quelques œuvres nocturnes de Charbel-joseph H. Boutros. À Vaugirard, H. Boutros installe ainsi une petite chambre dont le matelas invite à la sieste. L’équipe de la galerie peut y sommeiller, entourée d’œuvres (Dream, No. 10 (2024-2025), Mixed Up Dream #5 (2019-2025), If Close to the Sun a Drop May Fall (2019-2025)) qui évoquent le rôle des rêves dans la production de l’artiste. Sur la table de chevet, un verre d’eau, mais de 27 eaux minérales provenant de 27 pays européens (DRINK EUROPA, 2012-2013). Et un peu de lecture : When Two Days Meet (2024-2025) est le journal du jour recouvert de l’édition de la veille réduite en cendres; les informations d’hier éclipsent celles d’aujourd’hui.
Odéon est l’autre petit espace de l’exposition. Si les larmes de Distant Tears (2025) le lient à Vaugirard comme deux amants, la proposition est autonome. The Most Magical Line in Vermeer’s Painting (2024) est un prélèvement, une seule ligne de néon qui, comme le suggère le titre, incarnerait toute l’œuvre du peintre flamand. H. Boutros évoque souvent une « abstraction chargée », une non-figuration qui contient plusieurs narrations. Au sol, à la seule lueur de l’histoire de l’art, un minuscule cube dont les faces internes recouvertes de miroirs, invisibles au visiteur, recueillent une obscurité reflétée à l’infini (1 CM3 of Infinite Darkness (2013)). Peut-être une autre nuit, immensément petite.
Mêlant réalisations nouvelles et projets récents, Charbel-joseph H. Boutros continue avec Distant Tears de composer ses œuvres à l’aide d’éléments inattendus - le rêve, le sommeil, le souffle, le souhait ou encore l’exposition - qu’il distille dans une variété de matières courantes - le drap, le matelas, la moquette, la cendre, le ballon, la cire votive, l’eau ou encore le comprimé - pour entremêler l’intime, la géographie et l’histoire politique.
(Jean-Kenta Gauthier, janvier 2025)
* Léa Bismuth est docteure en théorie de l’art de l’EHESS, autrice, critique d’art, commissaire d’exposition, et enseignante. En 2024, elle publie L’art de passer à l’acte aux Presses Universitaires de France.