L.A. Gastronomical

JKG Odéon

28 mai - 26 juillet

Jean-Kenta Gauthier Odéon
5 rue de l'Ancienne-Comédie 75006 Paris

Vernissage: mercredi 28 mai, 17h-20h
Horaires: mercredi - samedi, 14h - 19h


    « […] seize hamburgers en deux jours. J’ai eu une incroyable crise de dysenterie. » (Robert Cumming, 2016)

        « J’ai parcouru les rues de Los Angeles, […] m’arrêtant chez des vendeurs de street food. […] À chaque arrêt, j’utilisais l’un des dollars constellés. » (David Horvitz, 2023)


    Jean-Kenta Gauthier est heureux d’annoncer L.A. Gastronomical, une exposition d’art conceptuel créé à Los Angeles, où la fast-food de Robert Cumming rencontre la street food de David Horvitz, et où les constellations entrent en circulation.


Robert Cumming, The Weight of Franchise Meat (1971)

    Né sur la côte Est des États-Unis, Robert Cumming (1943-2021) s’installe sur la côte Ouest en 1970. « J’étais vraiment enthousiasmé par beaucoup de choses en Californie », se rappelle-t-il dans un entretien avec le critique James Alinder en 1978. Cette année-là, Robert Cumming songe à quitter la Californie et retourner à l’Est, ce qu’il fera deux années plus tard, ayant été rassasié par toutes les illusions qu’offre la région, sa société de consommation, son industrie cinématographique. Il poursuit: « Le hamburger était l'une des choses que je voulais mettre en lumière. »
    Les 4 et 5 mai 1971, il entreprend donc de réaliser une typologie des steaks hachés dans les hamburgers des fast-foods de Los Angeles. Intitulé The Weight of Franchise Meat (Le poids de la viande des fast-foods franchisés), ces seize photographies composent le second livre d’artiste auto-publié dans l’année à 500 exemplaires et aujourd’hui parmi les publications les plus rares de l’artiste. Sur chaque photographie apparaissent deux mêmes éléments: un petit carton pré-imprimé arborant le titre du projet et des champs à remplir (poids, nom du fast-food, nom du hamburger — que Cumming considère comme « titre » —, type de consommation auquel est adjoint le prix, et la date) ainsi qu’un pèse-lettre qui rappelle par ailleurs le goût pour le mail art que Cumming a largement pratiqué dans les années 1960 avant de rejoindre la Californie. Dans une lettre adressée en 1994 à Frédéric Paul, alors directeur du FRAC Limousin, Cumming écrit: « Je voyais tout le système postal comme une exposition de la classe ouvrière : des personnes au bureau de poste à celles qui triaient le courrier, jusqu’au facteur qui livrait l’œuvre, et enfin le destinataire. » Une préoccupation sociale de l’art pas si éloignée de cette étude de la restauration bon marché qui prend des airs d’enquête de consommation.
    Robert Cumming devient rapidement une figure marquante de la scène de l’art conceptuel californien, connaissant un succès rapide et intégrant un cercle d’artistes proches comprenant notamment AA Bronson, Robert Heinecken, Edward Ruscha et William Wegman, sous le mentorat de Douglas Huebler, pionnier de l’art conceptuel qui en 1969 initiait Robert Cumming à la photographie conceptuelle. Cette même année, Cumming participe à l’exposition importante Art By Telephone au Museum of Contemporary Art de Chicago. En 1971, à l’instar de Michael Asher, Vija Celmins, Mary Corse, Jack Goldstein, Allan McCollum, Allen Ruppersberg ou encore William Wegman, il est sélectionné pour l’exposition collective 24 Young Los Angeles Artists organisée par Jane Livingstone et Maurice Tuchman au LACMA. Il y présente The Weight of Franchise Meat: les seize photographies noir et blanc qui composent le livre sont montées sur carton et collées à même le mur.
    Robert Cumming a cependant peu considéré ce projet qu’il pensait bâclé au regard de ses autres productions photographiques qui nécessitaient des semaines voire des mois de gestation. À James Alinder en 1978: « Franchise Meat est le fruit d’une réaction trop rapide à partir d’une idée très évidente […]. C’est trop californien et un peu trop facile. Je l’ai fait juste après mon arrivée à Los Angeles ». Ou encore en 2016 au critique David Campany: « The Weight of Franchise Meat, je déteste vraiment. Je suis allé trop vite avec une mauvaise idée. ». Et pourtant, le projet retient toutes les qualités d’une rigueur de l’absurde caractéristique de l’art de Robert Cumming. Il constitue comme un inventaire neutre du quotidien banal de la société américaine — on pense au Twentysix Gasoline Stations (1963) d’Edward Ruscha — et sa dimension quelque peu improvisée souligne une légèreté qu’on apprécie d’un certain art conceptuel californien. « Il y avait quelque chose dans le conceptualisme des Européens qui semblait toujours un peu trop sec, au point de presque le desservir. C’est peut-être le soleil qui aidait les gens à garder le sens de l’humour ! », remarque David Campany dans l’entretien pré-cité. Cumming rit: « Le soleil est censé faire fondre votre cerveau ».
    The Weight of Franchise Meat a donc longtemps été remisé: trop californien, pour un artiste qui finira par quitter la côte Ouest (il y est pourtant retourné en 2015, cette fois-là dans le désert, jusqu’à la fin de ses jours en 2021). Il n’est pas surprenant que Robert Cumming ait fini par mettre de côté ses projets réalisés à son arrivé à Los Angeles alors qu’il était encore — trop? — sous le charme de la Californie et son imaginaire. Le tout dans une boîte d’archive redécouverte par miracle début 2025. Les douze photographies présentées dans l’exposition L.A. Gastronomical sont donc précisément les tirages exposés au LACMA en 1971. Montrés à même le mur comme dans leur dispositif originel, ils témoignent de ce qu’il y a un demi-siècle, certains artistes en Californie prenaient l’humour au sérieux. Cette même année, un autre artiste californien, avec qui Robert Cumming échangera à travers diverses œuvres, instruisait ses étudiants en leur faisant copier: « I will not make any more boring art. »


David Horvitz, Constellatory Insertions Into Angelic Orbits (2023)

    Un demi-siècle plus tard, David Horvitz, artiste né à Los Angeles en 1981, perpétue cet esprit. Entretemps, la ville s’est étendue à perte de vue. « Dans la Cité des Anges, les étoiles sont cachées à la vue, dissimulées sous une couverture de pollution lumineuse », écrit Horvitz qui a déjà produit des œuvres à propos de la pollution lumineuse des grandes villes, à l’instar de sa phrase « Give Us Back Our Stars » (Rendez-nous nos étoiles) reproduite sur papier ou sous forme de tapisserie (2021). À Paris, il entreprenait cette quête en éteignant des lampadaires publics pour recréer en creux une constellation (Eridanus, 2017, montré à la Galerie Allen, collection du Fonds d’art contemporain de la ville de Paris).
    Réalisé en 2023, Constellatory Insertions Into Angelic Orbits est une œuvre en deux temps. Reconnues par l’Union astronomique internationale fondée à Paris en 1919, quatre-vingt-huit constellations habitent le ciel étoilé qui nous échappe dans les grandes villes; parmi elles, quarante-deux animaux: le dauphin (Delphinus), le cygne (Cygnus), le lion (Leo), le renard (Vulpecula) ou encore la grue (Grus). « Cachés quelque part dans un paysage cosmologique, dans des forêts de lumière désormais invisibles, ces animaux se dissimulent », écrit Horvitz. « J’ai perforé ces formes animales, une par une, dans quarante-deux billets d’un dollar. Ce sont de petits dessins qui deviennent visibles lorsqu’on les tient face à une source lumineuse ». Cette intervention sur la monnaie constitue la première étape.
    En 1970, sous la dictature militaire au Brésil, Cildo Meireles (né en 1948 à Rio de Janeiro) réalisait pour son projet Insertions into Ideological Circuits (Insertions dans les circuits idéologiques) des billets de banque marqués de messages qu’il diffusait dans la société en les mettant en circulation. Constellatory Insertions Into Angelic Orbits (Insertions constellaires dans les orbites angéliques) tire son titre du projet historique de Cildo Meireles, en précisant le contexte de la Cité des Anges. L’œuvre de David Horvitz est ainsi réalisée dans ce second temps par la mise en circulation des billets. « J’ai parcouru les rues de Los Angeles, parfois de nuit, parfois de jour, m’arrêtant chez des vendeurs de street food — surtout des camions et des stands de tacos. […]  À chaque arrêt, j’utilisais l’un des dollars constellés pour acheter quelque chose. Je voulais les mettre en circulation, pour qu’ils passent de main en main. »
    Dans la galerie, les images de la nourriture achetée se tapissent au dos de chaque photographie du billet correspondant, comme les constellations se tapissent au fond d’une nuit trop éclairée. À l’instar d’un projet à la fois performatif et participatif, les visiteurs sont invités à délicatement retourner les œuvres. La surprise de découvrir alors la preuve de la circulation du billet fait écho à celle que connaît peut-être celui ou celle qui, attentif, lève au ciel cet étrange billet pour en vérifier l’authenticité et découvre en négatif une constellation, de jour comme de nuit. « Dans la Cité des Anges, où sont les étoiles? »


    L.A. Gastronomical

    Avec un humour certain et à cinq décennies d’intervalle, Robert Cumming et David Horvitz insèrent la cuisine de Los Angeles dans leurs pratiques conceptuelles qu’ils document à l’aide de la photographie. La gastronomie se mesure souvent à l’aune d’étoiles, et la photographie est un art de l’attention qui entraîne à déceler l’ « astronomie » dans la « gastronomie ».