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Éloge du temps

Ode to Time

Abbaye de la Celle, Var, France

1 juin - 3 novembre

Dans le cadre d'une abbaye romane édifiée sur une villa romaine, un site archéologique témoignant de vingt siècles d'occupation quasi continue, Raphaël Dallaporta propose, du printemps à la fin de l'été, une exposition répartie en cinq espaces. Ces œuvres représentent autant de réflexions sensibles sur l'écoulement du temps et des tentatives de prédiction. Lauréat du prix Niépce en 2019, le photographe va au-delà de la simple capture d'images, explorant constamment notre rapport au monde et établissant des liens entre histoire, sciences et arts pour examiner la relation entre le progrès et notre évolution.


À l’Abbaye de La Celle dans le département du Var, l’exposition intitulée Éloge du temps évoque les divers moyens utilisés à différentes époques pour appréhender le temps et tenter de prédire notre place sur terre au-delà des saisons. Bien que l'artiste utilise la photographie comme moyen de dialogue avec les sciences, la beauté parfois étrange de ses images, rappelant des phénomènes familiers tels que des nuages, crée une œuvre dynamique alliant vivacité et solennité théâtrale. Cet équilibre s'intègre harmonieusement à l'architecture du patrimoine romain et aux vestiges archéologiques du site préservé.

    Dans l'espace du préau, une sculpture interactive avec le Soleil prend la forme d'un cadran solaire, marquant le temps à rebours en calculant spécifiquement pour le lieu le nombre d'heures restant jusqu'à la tombée du jour. En pénétrant dans la salle du dortoir, les regards se posent sur un miroir datant de l'Antiquité, qui a reflété le regard de nos prédécesseurs il y a plus de deux mille ans. Puis les sept photographies de la série Astrarium (2020) résultant de la mise en lumière et en mouvement d'une horloge astronomique conçue au Moyen Âge, considérée en son temps comme l'une des merveilles du monde. Le grand tirage intitulé Kircher (2015) rend hommage à Athanase Kircher (1602-1680), le dernier savant de la Renaissance, professeur au Collège romain et homme de tous les savoirs. Une sélection d'objets provenant de fouilles archéologiques récentes entre en dialogue avec ces photographies de trajectoires, formant une métaphore de l'avancée non linéaire du progrès. Dans le réfectoire, l'artiste présente en vis-à-vis d'urnes en pierre ou de fioles en verre, issues des collections archéologiques du département, d'une part les Quatre humeurs (2010) - des abstractions de fluides vitaux, sang, bile jaune, bile noire et flegme, dont la prédominance, selon la théorie médicale ancienne, varie au cours des saisons. D'autre part, l'ensemble de Covariance (2015), où l'illusion de nuages évoluant dans un ciel cosmique est composé de 48 variations d'une fonction statistique, issues d'une étude contemporaine de modélisations du hasard. À travers une ouverture entre le réfectoire et la cuisine, un dispositif optique identique à celui des missions Apollo permet d'observer de chaque côté le reflet de son propre œil. Ce prisme, utilisé pour la mesure laser quotidienne de la distance Terre-Lune, accompagne la création vidéo Camera E-8 (2016), montrant les premières secondes du lancement de la fusée Saturn V propulsant en 1969 l'Homme sur la Lune pour la première fois, nous renvoyant à ce qui nous sépare de la Lune.


À travers cette narration visuelle et son éloge paradoxal, Raphaël Dallaporta illustre à sa manière cette citation de Jorge Luis Borges dans Le Livre de sable : « Si l'espace est infini, nous sommes dans n'importe quel point de l'espace. Si le temps est infini, nous sommes dans n'importe quel point du temps. »
                    


(Françoise Docquiert, commissaire de l'exposition)